On ne présente plus Louis Bertignac. D’abord avec le groupe Téléphone puis en solo, l’immense guitariste a marqué le rock français.
Quel est votre tout premier souvenir de scène ?
Je crois que c’était avec mes parents. Je jouais déjà un peu de guitare et je l’emmenais partout. On était partis aux sports d’hiver au Club Méditerranée et là-bas, ils organisaient un genre de karaoké. On nous faisait chanter l’un après l’autre, mais moi, j’ai dit: “Je préfère chanter tout seul, je vais venir avec ma guitare”. Mais c’était la première fois que j’étais sur une scène, devant des gens. J’avais choisi de chanter un truc de Neil Young. Je me souviens que j’étais tremblant. Ça s’est bien passé et à la fin il y a des gens qui sont venus me voir dont une fille qui m’a dit: “J’ai adoré cette voix tremblante”. Je lui ai répondu que c’est parce que j’avais la trouille. La deuxième fois, j’avais deux fois moins le trac. La troisième fois, environ dix fois moins. Ça va très vite. Au bout d’un moment, on y arrive. On ne perd plus ses moyens. Mais la première fois, c’est spécial.
Quand vous étiez ado, la musique avait déjà une grande place dans votre vie ?
Oui. C’est venu assez subitement. C’est venu vers treize, quatorze ans. Je suis tombé amoureux de la musique que j’écoutais. Je mettais des disques, beaucoup de disques dans ma chambre. D’abord les disques de mon père, puis on m’a acheté mes disques. Ça tournait autour des trucs rock’n’roll. Avec mon père, il y avait Ray Charles que j’aimais beaucoup. Puis, quand j’ai découvert les Beatles, les Rolling Stones, tout ça ... Je n’écoutais plus que ça. Et oui, c’était important. Il me fallait au moins deux heures de musique avant de m’endormir sinon je ne dormais pas. J’écoutais ça très fort dans le casque. C’était mon truc du soir. J’avais besoin de musique pour m’endormir. Souvent, je mettais des concerts live. J’avais l’impression d’y être vraiment, d’assister au truc.
C’est peut-être ça, ce côté direct du “live” qui vous a attiré vers le rock ?
Oui, c’est vrai, mais j’aimais bien aussi des trucs plus soft, comme Pink Floyd. J’en mettais un comme dernier truc de la soirée. C’était bien pour s’endormir. Dans les trucs rock il y avait Rory Gallagher. Il y avait un super double live. J’avais une machine à vinyles avec un truc qui les faisait tomber l’un après l’autre. Je ne bougeais pas, je restais les yeux fermés. J’écoutais 5 ou 6 albums l’un après l’autre, et je changeais de face le lendemain.
Est-ce que vous avez un souvenir précis de votre tout premier vrai concert ?
Le premier vrai concert, c’est-à-dire avec un vrai public qui a payé sa place, je pense que c’était avec Jacques Higelin. Je l’ai rencontré quand j’avais 18 ou 19 ans, comme ça dans une soirée. J’ai joué deux minutes, il m’a enten- du et il m’a dit : “Est-ce que tu ne veux pas jouer avec moi ? J’ai un concert après-demain, je fais une première partie à l’Olympia et j’ai besoin d’un guitariste.” J’ai dit : Oui, volontiers” et donc j’ai appris ses chansons en une soirée, en deux jours. Et ça s’est plutôt bien passé. Je n’avais plus trop le trac et je ne perdais plus mes moyens.
À ce moment-là, vous saviez que la scène, c’était l’endroit où vous vouliez être ?
Oui. Après, j’ai découvert que j’avais envie de faire mon groupe, que je n’avais pas juste envie d’accompagner un chanteur. Ça a toujours été mon rêve. Quand j’écoutais les lives, j’avais envie d’être à la place des musiciens.
Vous prenez toujours autant de plaisir sur scène aujourd’hui ?
Je crois, oui. Ça dépend des soirs évidemment. Il y a des soirs où tout va tellement bien que je me régale. C’est vraiment mon plaisir ultime. Passer du temps en famille, il y a des grands moments. Mais je sais que mon plus grand plaisir, c’est un super concert avec un super public et de bons musiciens avec moi.
Même avec tout ce que vous avez fait, ça ne change pas.
Oui, parce qu’il n’y a pas mieux. Ce n’est pas une question d’en faire beaucoup. Un peintre, il aime peindre. Après son 800ème tableau, il aime toujours ça. C’est comme ça. On ne s’arrête pas. Si c’est ce qu’on aime vraiment faire, il ne peut pas y avoir de lassitude. Franchement, je ne crois pas.
Votre dernier album, “Dans le film de ma vie”, est sorti il y a quelques semaines. Dès le premier titre “Allez vite”, le message est clair : c’est de profiter de chaque instant. C’est ce que vous faites ?
Oui, de plus en plus. J’y pensais moins avant, mais ça a toujours été un peu mon leitmotiv de ne pas me prendre la tête et de profiter. Ça l’est de plus en plus, parce que l’âge avance, qu’on se dit qu’on a moins de temps devant que derrière. Je n’ai pas envie de perdre une seconde à un truc qui ne m’amuse pas. C’est pour ça que, maintenant, je ne fais plus rien qui ne m’amuse pas. J’arrive à prendre du plaisir à faire un peu n’importe quoi, même du jardinage. Je me dis pas qu’il faut se presser de monter sur scène, qu’il faut se presser de tout, mais il faut profiter des moments et ne pas se prendre la tête. J’essaie de ne pas prendre la tête aux gens, ni de me mettre dans une humeur qui me gâcherait la vie. Ce qui m’est arrivé.
C’est une chanson qui dit beaucoup de choses.
Oui, il y a la guerre, il y a ces trucs-là ... Quand il y a eu l’invasion de l’Ukraine par Poutine, j’avais envie d’écrire un truc comme ça. J’avais envie de raconter ça. Qu’il fallait arrêter de s’angoisser et qu’effectivement, il y a des trucs an- goissants qui peuvent nous tomber dessus, mais qu’on ne va pas trop y penser. Ça fait une raison de plus de profiter de l’instant présent. De toute façon, des raisons, il y en a beaucoup. on peut en trouver plein.
Vous avez collaboré avec plusieurs auteurs sur cet album. Comment se font ces collaborations ?
Il y a déjà l’expérience, parce que c’est déjà arrivé. Je sais qu’il y a des copains qui aiment bien écrire. Rose, elle m’a déjà écrit un truc il y a quelques années que j’avais bien aimé. Il y avait un morceau que je pensais qui lui plairait. Je lui ai envoyé et elle m’a répondu qu’elle aimait beaucoup la musique et qu’elle allait essayer d’écrire un texte. Il y a aussi mon pote Dominique Simonnet, qui m’en a déjà fait. J’essaie toujours d’écrire et quand je crois que j’y arrive pas, j’appelle un ami. Il y a aussi Fred Château que je connaissais pas, qui m’a écrit “Le film de ma vie” et “Allez vite”. C’est un copain commun, qui s’appelle Jérôme, qui m’a filé le morceau “Le film de ma vie” en me disant que ça a été écrit pour moi. J’ai écouté ça et je me suis dit “C’est clair que c’est pour moi, mais c’est un peu trop pour moi”... Ça ne me plaisait pas de me raconter dans une chanson. J’ai quand même été l’essayer en studio et finalement j’ai trouvé que ça marchait vraiment bien. Donc je l’ai fait. Ensuite il m’avait envoyé un autre truc, mais ça ne m’amusait pas, ça aurait pu être chanté par un jeune homme. Donc je lui ai demandé de m’écrire un truc sur la guerre, par exemple. C’est là qu’il a écrit “Allez vite”.
Est-ce que ce sont des morceaux que vous aimez jouer ?
Ces chansons, je les ai laissées mûrir un moment. Je ne me suis pas forcé. Il y a eu un confinement. Ça m’a donné beau- coup de temps. Il y en a que j’ai complètement chamboulées. Qui étaient deux fois plus lentes, que j’ai accélérées. Il y a aussi l’inverse qui s’est produit. J’ai changé les tonalités plein de fois. Je les ai refaites et refaites jusqu’à arriver à ce disque où là je n’avais rien à regretter. Je me suis dit : “Il est comme ça. Il va être bien. Encore plus, s’il est bien mixé.” Et j’ai trouvé le bon mixeur. La maison de disque m’a proposé un mec top. Donc je suis content de ça, je suis content des chansons, je suis content du son du disque. Tout va bien. Et je suis content des chansons, parce que quand on les joue sur scène, c’est agréable. En général, sur mes albums, j’en joue deux ou trois, ou quatre. Et au bout d’un moment je laisse tomber, il en reste une, puis plus du tout ou durement. Mais là, je crois qu’il y en a pas mal qui vont durer longtemps. Elles sont agréables à jouer.
Dans votre répertoire, est-ce qu’il y a une chanson que vous ne pouvez pas enlever de votre setlist ?
Oui. C’est vrai que “Cendrillon” et “Ces idées-là”, j’ai du mal. Je ne les enlève jamais, je n’ai jamais osé. Mais “Vas-y guitare” aussi. Je ne sais pas, j’ai l’impression que les gens la veulent. Que les fans de guitare la veulent. J’ai parfois envie de l’enlever, mais je n’ai pas encore osé.
Je vais rebondir en parlant de guitare. Si vous deviez ne garder qu’une guitare, laquelle ça serait ?
Celle avec laquelle je joue, la SG junior. Je suis tombé amoureux comme on peut tomber amoureux d’une femme et la garder toute sa vie. Je suis tombé amoureux de femmes et ça ne s’est pas produit. Mais la guitare, oui. Ça a été vraiment un coup de foudre. La première fois qu’on me l’a mise dans les bras, c’était aux États-Unis chez un mec qui n’en jouait jamais. Il me l’a fait jouer, il fêtait un truc. Il m’a branché sur un ampli, j’étais dans le New Jersey, je ne connaissais per- sonne et j’ai joué pendant des heures. Plus ça allait, plus j’aimais cette guitare. Je la trouvais comme j’aimais. Elle était faite pour moi. Donc, par la force des choses, elle ne m’a jamais quitté. Sur scène, je ne joue que sur celle-là. Il y a des guitaristes qui changent, selon les morceaux. Moi non. Moi, je n’ai pas envie de changer, c’est celle-là que j’aime. Ça fait plus de 50 ans que je joue dessus. Je peux jouer sur une autre guitare, j’en ai une quarantaine à la maison. Souvent je tombe amoureux, mais c’est une amourette. Tout nouveau, tout beau. Elle est bien, elle a un beau son, elle est belle, etc. Mais au bout de 3-4 jours, je reprends quand même celle-là et il n’est plus question de jouer sur l’autre. Je ne suis pas un maniaque, mais cette habitude-là... Je ne sais pas. Il y a une confiance entre nous.
Quelle serait votre définition de la musique ?
C’est un assemblage de sons qui a un sens pour celui qui les assemble. Après ça, on peut extrapoler et dire que c’est un langage totalement universel. C’est un langage que tout le monde comprend. Enfin, ça dépend des musiques. Mais le rock’n’roll, c’est une musique qu’un enfant de 4 ans peut très bien comprendre. C’est pour ça que j’aime cette musique. Elle s’adresse un peu à n’importe qui.
Ça rassemble.
Oui, ça rassemble parce que ce n’est pas une rythmique compliquée. Danser le rock’n’roll, ça, c’est compliqué. Mais, la musique elle-même, c’est en général assez simple. C’est mélodique, c’est rythmique et en même temps, c’est simple. C’est ça qui me plaît. Et c’est un langage tellement international. J’ai rencontré des gens dans des pays comme le Népal ou le Maroc, on prend un instrument et on joue. On n’arrive pas à se parler, on ne comprend pas la même langue. Mais on se fait 2-3 signes, et c’est parti. Le plaisir de jouer monte. Il ne peut pas y avoir de men- songes, c’est vraiment un langage très pur. Au bout d’un quart d’heure ou même d’une heure de musique avec la personne, on est comme les meilleurs amis du monde. C’est-à-dire qu’on s’est beaucoup dit, même sans se parler. Quand on parle, on peut mentir, on peut trafiquer. Mais en musique, on ne peut pas. On se reconnaît beaucoup plus facilement, même si on ne parle pas un mot compréhensible par l’autre.
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