Autrice, compositrice et interprète, Mademoiselle K est bien connue des passionnés de rock français. Son pre- mier album “Ça me vexe” est disque d’or en 2006. De- puis, elle a fait du chemin, sorti des albums, voyagé... Je l’ai rencontré quelques heures avant son concert au festival Les Mascarets à Pont Audemer.
On va commencer du tout début. Quel est votre tout premier souvenir musical important ?
Ce n’est pas mon souvenir, mais je vais partager celui que m’a toujours dit ma mère. Il y a une photo de moi cou- rant, avec le sourire, au bois de Boulogne. Puisque j’ai grandi à Levallois-Perret, à Paris, on allait souvent là-bas. Je cours vers un guitariste qui jouait. Ma mère m’a toujours raconté cette histoire. J’étais restée scotchée devant lui longtemps. Je ne sais pas s’il chantait aussi. J’ai cette photo de moi courant, je vois ma tête, et j’ai, je pense, deux ou trois ans. C’est un peu le storytelling de ma mère. Ça me va parce qu’effectivement, j’ai des souvenirs où quand je voyais des musiciens, je restais souvent devant et je les regardais pendant longtemps. Je pense que j’aimais écouter, et après, j’ai aimé faire de la musique jusqu’à ce jour.
Qu’est ce que vous écoutiez quand vous étiez enfant ?
J’aimais bien tous les sons qui bougeaient. Globalement, les musiques qui dansaient. Je me rappelle avoir été fan de Michael Jackson. Je me revois faire le moonwalk, ou tout au moins, essayer de le faire. C’était aussi bien les chansons que ce côté scénique, danses et tout, que je trouvais génial. Michael Jackson, je l’aimais beaucoup enfant. Un peu plus tard, Nina Simone aussi. C’est quelqu’un qui m’a énormément marqué. En plus, je l’avais vue à l’Olympia quand j’étais vraiment petite. Elle m’a signé un mot. J’étais très touchée de la considération qu’elle a eue pour moi, enfant. Ce n’est pas le cas de tous les adultes envers les enfants. J’ai été touchée par elle, l’artiste femme instrumentiste. J’aime beaucoup ce qu’elle fait au piano. C’est autant la voix que la pianiste qu’elle est. Il y en a plein d’autres, mais ce sont les deux qui viennent comme ça.
À cette période-là, c’était déjà une évidence que la musique aurait une place importante ? Vous pensiez déjà que ça pourrait être un métier ?
Non, je ne pense pas. Ça faisait partie de la vie, c’était un truc que j’aimais. Je pense que j’aimais bien le côté scénique. Quand on devait choisir des déguisements pour mardi gras, tout ça, je me rappelle m’être déguisée en pirate, en clown. Le clown, j’aimais bien. J’aimais bien faire marrer, un peu faire le show. La musique, ça faisait partie de ma vie, c’était là, dans le quotidien. Puis, quand j’ai commencé à faire de la guitare à neuf ans, j’en faisais avec plaisir. Je travaillais ma guitare avec plaisir mais. Je ne me disais pas que je ferais ça dans ma vie. Je pense que c’est à l’adolescence que ça a pris une place plus importante, une place un peu plus sérieuse même, plus salvatrice. Ça a pris de l’ampleur et la musique est un peu venue comme quelque chose qui vous sauve. Comme il y en a qui serait devenu très croyant, pour moi, ça a été la musique.
C’est vrai que quand on est adolescent, c’est un moment où, en plus, ça peut devenir une façon de s’ex- primer. C’est nous, mais derrière autre chose.
C’est ça. De s’exprimer, de se cacher aussi dedans, de s’enfuir dedans. Pour moi, l’art est aussi une échappatoire à quelque chose.
À quel moment commencez-vous à vouloir en faire un métier ?
La petite graine était ma professeure de musique au lycée, Annick Chartreux, que je continue de voir et qui a été vraiment ma principale mentor. Elle était ma professeure de musique, au lycée. J’étais en “littéraire” option mu- sique. Elle avait créé un orchestre, dont je faisais partie. Elle a été incroyablement importante dans ma vie. C’est le genre de rencontre qui vous fait se demander ce que vous auriez fait si vous n’aviez pas rencontré cette personne. C’est elle qui m’a fait réaliser, quand elle me disait que c’était un métier. C’était au moment où on devait trouver une orientation pour plus tard. Déjà, s’orienter en seconde, ou première...
Il faut déjà savoir ce que l’on veut faire.
Exactement. On ne sait pas vraiment quels sont les différents métiers, de quoi on peut vivre. Elle, c’était génial parce qu’elle disait que la musique, oui, on peut en vivre. J’étais déjà guitariste, donc je pouvais être professeure de guitare. Elle me disait de foncer. Ce n’est pas une surprise si elle a eu plein d’anciens élèves qui sont devenus musiciens parce que, d’un coup, il y a quelque chose de concret. D’un côté, il y a la passion, quelque chose que l’on aime en tout cas, qui nous anime. De l’autre côté, ça peut être un métier. Je ne savais pas encore que je ferais des chansons. À ce moment-là, j’étais en guitare classique et au conservatoire. Après, je me suis inscrite au CNR. Aujourd’hui, c’est le conservatoire de région. Je me suis inscrite au CNR de Boulogne et je me destinais à être guitariste classique, alors que pas du tout. Je pense que, secrètement, je voulais déjà faire des chansons. J’écrivais des poèmes. Après, je suis allée en musicologie à la faculté, à la Sorbonne. C’est là que j’ai commencé à écrire ma première chanson. Je me suis rendu compte que c’était ça que je voulais faire depuis longtemps.
C’est devenu évident à ce moment-là ?
Oui. Là, je commençais déjà à passer mon CAPES. J’ai passé une première fois pour être professeure de musique. J’ai passé une première fois, j’étais admise, c’est écrit, oral. J’ai passé la première étape. Après, je n’étais pas admise, enfin, j’étais admissible, mais pas admise. La deuxième fois, je l’ai passé plus pour ma mère. Je savais déjà que je voulais faire des chansons et que je ne savais pas où j’allais, mais que j’y allais dans tous les cas et que j’allais tout donner pour ça.
Votre premier album, «Ça me vexe», est sorti chez Roy Music en 2006. À ce moment-là, ça démarre plutôt vite, non ?
Oui. Ce qui est super, c’est qu’il y a eu des essais ratés avant, des choses moins bonnes, en progression, on va dire. Je suis vraiment contente que mes premiers EP n’aient pas été mon premier album. Au moment où arrive «Ça me vexe», j’avais déjà fait du tri. L’air de rien, c’était déjà quand même le meilleur de moi-même à cette époque-là. Même s’il y a des chansons que j’aime moins avec le temps. C’est malgré tout un album dont je suis réellement toujours fière.
Tout se passe très vite. Comment vous vivez ce moment-là où tout démarre ?
Bien. Il y a plein de concerts, j’étais trop contente de ça. Après, les premières apparitions télévisées, les gens qui com- mencent à vous reconnaître, j’ai moins aimé. Je trouvais ça très fake, assez bizarre. Je me rappelle, j’habitais dans le 15ème, à Paris, rue Cambronne, et j’avais un voisin qui faisait souvent la fête assez tard. Un jour, c’est là que j’ai vu la situation basculer. Régulièrement, je tapais à la porte et c’était bien, il baissait le son. Un soir, je tape à la porte, il baisse le son. Deux minutes après, il frappe à ma porte. Il me dit qu’il adore «Plus le cœur à ça», «Jalouse» et il parle de chansons de l’album qu’il avait découvert. Je lui ai dit que c’était génial, mais que j’avais vraiment envie de dormir. J’étais touchée, en même temps, j’étais perturbée. Cette période était géniale mais en même temps, tout d’un coup, vous devenez un peu un personnage public.
C’est un peu intrusif.
Oui. Je n’ai pas aimé ça et je pense que je l’ai fui après. J’ai été un peu partagée sur la notoriété. Suite à ça, ça pose la question du succès. C’est quoi le succès ? Quel genre de succès on veut ? Jusqu’à ce jour, c’est une question que je me pose régulièrement parce que je me dis que je n’ai pas encore fait mes meilleures chansons. C’est toujours la même chose qui m’anime, c’est à chaque album. Ce qui me fait revenir, c’est qu’à un moment, il y a des chansons bien et ces chan- sons me font y aller. Puis, aussi, il y a toujours le plaisir, cette quête de se dire que l’on n’a pas encore fait nos meilleures chansons. J’ai des chansons à qui je dois beaucoup, celles qui m’ont donné du succès. Néanmoins, je peux faire mieux. À chaque album, je me dis que cette chanson-là, elle est mieux.
Depuis votre voyage à New York, vous êtes maintenant indépendante. Vous avez donc auto produit votre dernier album.
Exactement. Ça n’a été pas évident de sortir cet album-là. Je sais aussi l’énergie que c’est de sortir un album, et en indé- pendant, c’est encore plus de travail. Il y a moins de monde. En plus, j’ai remué plein de choses sur cet album. J’ai changé de manager, quelqu’un avec qui je travaillais depuis des années. Il y a eu beaucoup de changements. Le changement amène le changement. J’ai travaillé avec de nouvelles personnes. C’est tant mieux. C’est appréciable, le changement. Cependant, ce sont aussi des moments très instables, où l’on flotte. Je savais que ça allait être laborieux de le faire. En plus, le Covid est passé par là. Néanmoins, je savais déjà avant que ça allait être un peu laborieux, que j’allais traverser les 40 ans et tout. Je me demandais comment ça se passe pour une femme qui a 40 ans. Le Covid est arrivé et le temps s’étirait. Je ne voulais pas sortir de titre sans être sûre de toutes mes chansons. Je pense que c’était important. Je veux que ce soit visible, mais je n’ai pas trop envie d’être dérangée non plus. Je me dis que je suis à un endroit pas mal, que j’ai choisi. Là, les festivals que je fais cette semaine, c’est bien parce que c’était des choses que je voulais faire. En même temps, ça va, je ne suis pas ultra ou trop médiatisée. Je suis au bon endroit.
C’est un bon équilibre, de faire vivre sa musique, mais en gardant sa vie.
C’est ça.
Ne plus dépendre d’un label, ça vous permet aussi de ne pas être obligé de suivre le rythme effréné de la course médiatique.
Je ne sais pas si c’est tant la course médiatique que ce que disait mon manager, qu’il faut sortir quelque chose tous les ans pour avoir la place. Après, il y a le «il faut que» ou le «il faudrait que» dans le monde dans lequel on vit aussi. Puis, il y a le rythme auquel on avance, où on est fier de soi, où on ne se dit pas que oui, on a sorti un album tous les ans mais que la moitié, c’était très mauvais. Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de faire. Après, je trouve quand même intéressant de pouvoir travailler plus vite et produire plus. Néanmoins, c’est comme ça, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Ça, je l’accepte aussi. Ça ne me dérange pas d’être à contre-courant. Le risque que je prends, c’est de disparaître à chaque fois ou qu’il y ait de moins en moins de gens qui écoutent.
Avant de revenir à l’album, je voudrais parler de votre voyage à New York. Qu’est-ce qui vous a amené à faire ce voyage ?
Je pense que j’avais vraiment une passion pour l’anglais. Une chose que j’ai souvent dit, c’est que je n’ai pas fait d’Erasmus, mais je voulais vraiment séjourner à l’étranger et il était temps à ce moment-là. En plus, j’étais à la fin d’un cycle, j’avais fait trois albums. J’en avais un peu marre, il y avait tout le temps le même équilibre avec mon groupe. J’avais réellement l’impression que l’on était monté comme une horloge suisse, on faisait trois-quatre et ça jouait beaucoup trop carré. Tout était une espèce de mécanique bien huilée et ça m’énervait. Je pense que j’avais besoin de casser avec ça et c’était le bon moment pour faire mon voyage. Il y en a qui se disent qu’avant leurs 30 ans, ils veulent avoir trois enfants. Pour moi, c’était vouloir partir à l’étranger, faire de l’anglais et aller au bout de cette démarche d’être en immersion dans l’anglais. New York, parce que je suis plutôt fan de la culture anglaise. J’ai une passion pour cette langue, mais j’aime plein de langues. J’avais appris aussi l’espagnol quand j’ai voyagé en Amérique du Sud. J’avais appris l’italien au lycée, que j’ai continué quand j’étais à la faculté. Puis, je suis bilingue de naissance parce que je suis d’origine polonaise. Ce qui fait que j’aime les langues étrangères, mais l’anglais, c’était plus par rapport à la musique et toutes les choses que j’aime. C’est le genre de choses que l’on se dit que si on ne fait pas, on a des regrets. Je n’ai même pas fait un an, je suis restée trois mois, mais c’était génial, incroyablement stimulant et c’était bien aussi de travailler dans autre chose que la musique. Je ne suis pas que monobloc de la musique, je suis passionnée de mots, d’écritures, de linguistique, tout ce qui a trait au langage.
Écrire en anglais, ce n’est pas pareil.
Je me suis dit que je ne savais pas si j’arriverai à écrire en anglais, mais j’avais quand même ça en tête. Que ce serait génial de me lever un matin et que j’écrive en anglais. Que je me mettais à penser dans cette langue. Je ne savais pas si ce serait possible, mais j’avais déjà pensé dans d’autres langues, en polonais. C’est la même dé- marche. C’était intéressant aussi d’être en situation d’infériorité, parce que quand on est un étranger dans un pays, on est forcément un peu en situation d’infériorité, on maîtrise moins bien la langue de tout le monde. Je me rappelle m’être dit que je comprenais ce que ça a fait à ma mère quand elle est arrivée en France et qu’elle a dû apprendre le français. Il y a quand même plein de fois des micro humiliations au quotidien. Ce n’est rien de méchant, mais c’est le regard des gens. Déjà, ça donne de la force, parce que tel mot qui vous a manqué dans une conversation, une soirée, vous l’apprenez, vous vous en souvenez parce que vous en avez besoin. Ça m’a fait réaliser plein de choses et surtout, ce qui est bien c’est que quand je suis rentrée, je comprenais l’anglais. Je me rappelle qu’à peine rentrée à Paris, Peter, mon guitariste, m’invite à aller voir un concert. C’était une artiste que j’aime beaucoup, à la Maroquinerie. Elle a écrit un titre, “Seventeen”, qui est formidable. On est allé au concert et c’était génial, que je comprenais tout. Je comprenais avant, mais là, je comprenais tout de suite.
Avant, c’était de la déduction à partir de ce que l’on comprend.
Oui, c’est ça ou parce qu’après, on va voir le texte. Je me rappelle être rentrée, j’ai redécouvert des disques que j’avais de Nina Simone, Queen aussi, plein d’albums que j’adorais, des Beatles et tout. J’étais déjà allée voir les textes, mais là, je les comprenais encore plus. Je me rappelle m’être dit que des fois, les Français me font rire quand ils disent que les Anglo-Saxons sont plus sur la musique que sur les textes. C’est n’importe quoi, pas du tout ! Les grandes chansons anglo-saxonnes, il y a des textes incroyables. Ce sont des super chansons, elles sont très bien écrites. Les Anglo-Saxons ne sont pas plus sur la musique que sur les textes. Quand une chanson est bonne, elle est bonne. Ça réouvre plein de portes. Après ça, je parlais très bien anglais, mais j’avais encore un mauvais ac- cent. Puis là, c’est une amie qui m’a fait réaliser qu’il y a des professeurs d’accent. De là, je suis repartie trois mois de plus à Londres pour travailler mon accent. En anglais, il y a au moins six ou sept voyelles en plus qu’il n’y a pas dans le français de prononciation. C’était génial parce que ça a vraiment élargi aussi mon oreille. C’est comme ap- prendre une nouvelle gamme. Tout d’un coup, vous prenez conscience d’autres intonations et d’autres ouvertures de bouche qu’il n’y a pas dans votre langue. C’était encore un autre travail, c’était formidable. Je me rappelle m’être dit que je comprends pourquoi la pop est anglaise. Il y a quand même un plus avec la mélodie dans l’anglais, dans la langue en soi déjà. Il y a un placement de la voix, il y a quelque chose de complètement différent du français. Ça m’a fait beaucoup de bien vocalement de chanter en anglais. Ça m’a ouvert des choses, appris des choses. Quand je chante en français, ce n’est pas évident, ça ne sonne pas pareil. J’ai la même voix, mais les notes ne s’étirent pas pareil. En tout cas, je trouve que l’anglais est vraiment une super langue pour la mélodie, pour chanter.
Donc toute cette expérience-là a apporté musicalement au-delà de l’apprentissage de la langue.
Oui, ça a été hyper enrichissant. C’est très intéressant et ça fait incroyablement du bien aussi sur soi. C’est une très belle manière de se renouveler. On se découvre soi, dans une nouvelle langue et donc, dans une autre manière de penser et une manière d’être aussi. Ça fait du bien, je trouve, et ça élargit aussi les possibilités.
C’est à ce moment-là, donc, que vous commencez à autoproduire les albums qui suivent ?
C’est ça. À ce moment-là, j’avais déjà prévenu Roy Music, mon label, que je faisais des chansons en anglais, je n’ai pas débarqué comme ça. C’était compliqué. J’ai envoyé une maquette, il n’y a pas eu de nouvelle. C’était pendant le temps où j’étais en Angleterre. Je me suis séparée d’abord de mon label, Roy Music, parce que j’en avais marre. Il me restait un album optionnel avec EMI Music qui n’a pas levé l’option. Ils m’ont dit qu’ils pensaient que c’était une erreur que je fasse un album en anglais, que j’allais perdre mon public. J’étais déjà lancée de toute façon mais sur le coup, ça fait un choc. Après, on a monté le label “Kravache” avec mon manager. Puis on a produit le premier album «Hungry Dirty Baby».
Maintenant, c’est le 3ème autoproduit. C’est plus difficile ? On voit tout de même que le dernier, «Ulule», a levé pas mal de fonds. Aujourd’hui, c’est quoi l’équilibre finalement ? Quels sont les points forts et les points faibles de ce fonctionnement ?
C’est quand même un avantage pour moi parce qu’il n’y a pas d’intermédiaire, il n’y a pas de label. Ce n’est pas la même visibilité médiatique, mais après, je venais d’une major, j’étais avec Roy Music, avec EMI, qui sont de grosses forces de frappe. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, je re-signerai avec un label que c’est dit qu’il y aura, de toute façon, autant de visibilité parce que c’est difficile de durer. Les premiers albums, c’est facile. Si l’album est bon, a priori, ça suit le cours que ça doit suivre. C’est après. La grande question du comment durer. «Hungry Dirty Baby», c’était encore au moment où je traçais. Quand j’ai fait l’album en anglais, j’étais déjà lancée. «Sous les brûlures» aussi, je sortais de cette rupture. Il fallait que je le sorte, je n’allais pas traîner pour sortir ces chansons-là. Je fonctionne par trois sur les cycles et ce troisième-là, c’est la fin d’un cycle. J’ouvre avec «Chloroforme», sciemment, parce qu’il a été fait dans cette énergie-là. Est-ce que c’est la fin ? Est-ce que je suis finie ? Puis, il y a les points positifs. C’est plus de travail, mais c’est mon album. Comme on dit dans le milieu, c’est moi qui suis propriétaire des masters, donc ce sont mes albums. Je pense qu’il y a une vraie envie, sur ce dernier-là, d’à nouveau travailler en équipe.
D’être un peu plus entourée ?
Voilà. Après, là, je suis dans une organisation qui est formidable. Il y a quand même des choses qui se sont élargies dans le travail avec mon label. C’est beaucoup plus serein qu’au moment de la sortie où c’était vraiment chaotique. Je ne sais pas la suite, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai envie de collaboration, très fort. J’ai envie d’un peu de, je ne sais pas si c’est rattrapé le temps perdu, mais en tout cas, faire tout ce que je n’ai jamais fait jusqu’à présent, c’est-à-dire, des collabora- tions avec d’autres artistes. J’ai très envie de ça. Je ne sais pas encore sous quelle forme, comment, mais ça fait un petit moment que ça me fait envie. Il y a eu des choses qui se sont présentées ces derniers temps. J’ai envie de ce partage-là parce que j’ai beaucoup évolué seule ou seule avec mon groupe, mais quand même seule.
Vous avez été vraiment soutenu par les gens sur Ulule pour faire cet album.
Oui. Mon manager, d’ailleurs, n’arrêtait pas de me dire que statistiquement, le deuxième que l’on fait en crowdfunding, souvent, les chiffres sont moins bons. On a fait, je crois, 15 000 euros de plus. C’était génial. Le message était très fort aussi. C’était incroyablement touchant de voir que les gens sont toujours là. Ils avaient déjà entendu quand même les titres, parce que j’avais fait un concert à Paris, par conséquent, ils savaient, il y avait des titres qu’ils aimaient.
Vous avez travaillé avec des réalisateurs pour cet album.
Oui. Ça m’a fait du bien d’avoir des réalisateurs, de déléguer, de ne pas être la seule décisionnaire, même si c’est moi qui décide au final. Je ne devais en prendre qu’un, mais il se trouve qu’ils sont deux parce qu’ils sont amis et travaillent en- semble, des gars du groupe Inüit, Pierre Cheguillaume et Simon Quénéa. Ce qu’ils ont apporté sur les structures et sur les tonalités, ça a été important. Puis, c’étaient des regards absolument extérieurs sur ce que c’est Mademoiselle K, qui c’est ? Ça m’a fait incroyablement du bien d’avoir quelqu’un d’autre que Peter, mon guitariste. Peter et moi sommes comme un vieux couple. On est deux guitaristes, mais je dis toujours que c’est lui. C’est vraiment mon binôme. Il est très important, mais je connais aussi les limites.
Parfois, il faut un regard de l’extérieur.
C’est ça. Il a une certaine idée du son que je n’avais pas. Je voulais absolument, c’est quelque chose que j’ai beaucoup dit, un son 2023, sur certains titres, comme sur «J’rêve d’un CRS». Je savais que ça ne pouvait pas être rock à l’ancienne. Je ne voulais pas ça. Je trouve incroyablement bien ce qu’ils ont apporté, j’aime vraiment. J’ai mis du temps sur ce titre qui m’a donné le plus de fil à retordre sur cet album. Jusqu’au bout, je me demandais ce que je faisais, si je le laissais ou non. Pour moi, c’est une chanson très importante dans ce que ça dit. Elle m’a absolument embêtée, j’ai rarement autant eu du mal sur des arrangements et je suis très contente, de bout en bout, de cet arrangement final et de ce qu’elle est devenue. Je n’y serais pas arrivée sans cette rencontre avec eux.
Est-ce qu’il y a une chanson sur cet album pour laquelle vous avez une affinité particulière ?
Déjà, il y a «Chlorophorme» que j’aime beaucoup parce qu’elle vient de quelque chose de très rock. Elle commence par ce feedback de guitare. Ça a été un objet de litige entre Peter et moi. On a eu des désaccords sur ce titre parce que c’est sa chanson préférée et que moi, j’avais une vision, une idée plus moderne, de la chanson, dans le son. Je ne voulais pas juste que ce soit la guitare de Peter qui hurle tout le long, je voulais qu’il y ait aussi un propos, un texte. Les gars de Inüit m’ont vraiment aidée là-dessus. Ça a été absolument le travail de tout le monde. C’était le groupe et les deux réalisateurs. Il a fallu au moins toutes ces personnes-là. Pendant le mastering, j’ai eu des hésitations, jusqu’au bout, elle m’a rendu folle dans les choix. Ensuite j’aime bien «CRS». «Nos intensités» aussi, dans le genre très rock.
«Chlorophorme», c’est vrai qu’elle a quelque chose de très fort. À la première écoute, on rentre sur ce côté très rock musicalement, et juste après, on vient se faire attraper dans l’émotion sur le même morceau. Souvent, main- tenant, on se retrouve avec des sons très rock, mais qui sont juste très rock, il ne se pas grand-chose d’autre. Ici, il y a tout. Le rock et le reste.
C’est ce que je voulais, parce que, justement, des fois, c’est ce qui me gêne dans le rock. Dans le rock, ce n’est pas ce que l’on recherche, on recherche des riffs, je pense à Song 2 de Blur. C’est une énergie. Certains titres, c’est ça ce que l’on veut et c’est tout. Cependant, là, c’est autre chose. C’est une chanson histoire, ce n’est pas une chanson à riffs. Alors que par exemple, «Nos intensités», déjà plus, mais même «Nos intensités», il y a une histoire aussi.
C’est une chanson qui donne envie de rentrer dans l’album parce qu’une fois que l’on est dedans, on a envie de continuer. On est à une époque où la musique s’écoute de plus en plus par single, et où les gens ne prennent pas toujours le temps de d’écouter un album complet. Cet album est vraiment à écouter en entier.
Je pense que les chansons ont toujours l’aspect consommation. Je ne sais pas s’il est plus ou moins qu’avant. Je reste persuadée quand même qu’à un moment, une chanson, quand elle doit faire son chemin, elle le fait. La radio, c’est en- core autre chose. Puis, à un moment, une chanson peut rencontrer la radio, on rencontre le succès indépendamment du mouvement, de la mode, du format. Je pense toujours à «Bohemian Rhapsody» et je me dis que cette chanson qui est hors format, passe en radio. Donc je pense que tout est possible, que les modes changent et qu’à un moment, les gens ont envie de ressentir des choses.
Oui, et pas d’entendre la même chose tout le temps non plus.
C’est ça. Après, sur cet album, j’aime beaucoup «Ta sueur» aussi pour ce qu’elle a de particulier. Je l’aime autant ins- trumentalement que dans le propos. Ça fait longtemps que je n’avais pas parlé comme ça sur une musique. J’aime beaucoup le mystère de cette chanson. Je ne sais pas, il y a quelque chose dans le son, avec le Cosmos comme ça, au début. J’aime aussi beaucoup «Trafiquante de crêtes». Celles dont je suis la plus fière, dans les arrangements comme dans les chansons, ce sont «Chlorophorme» et «J’rêve d’un CRS», je pense. Je vois vraiment le parcours et, au final, je suis vraiment contente de tout. «Trafiquante de crêtes», je l’adore pour sa simplicité et j’adore qu’elle soit puissante avec pas grand-chose. C’est juste deux guitares, une batterie, un synthé basse à un moment. “Garçon bleu», je l’adore, mais ces derniers temps, moins. Elle m’ennuie plus. Je pense qu’il y avait un aspect plus mystérieux. Avec le recul, j’aime bien comment elle est sur l’album, mais elle est un petit peu trop “formatée” alors qu’elle a quelque chose de plus mystérieux au départ. Je n’ai pas assez étiré ce côté-là et avec le recul, plein de fois, je me dis que ce que j’aime le plus, ce sont les hors formats. Je n’ai pas envie de faire que des chansons hors formats parce que j’aime vraiment aussi le côté efficace d’une chanson. J’aime qu’une chanson fasse trois minutes et que tout soit dit en trois minutes. Ce n’est pas un problème, le temps. Marvin Gaye a des chansons incroyables qui font 2 minutes 30 secondes et avec les meilleurs arrangements du monde. Le timing n’est pas un problème. J’aime bien ce côté efficace, court, d’une chanson, mais j’aime aussi aller au bout de quelque chose et pouvoir s’autoriser tout. C’est ce que me dit «Bohemian Rhapsody», mais c’est ce que me disent aussi des chansons que j’ai faites comme «Final» ou «Ta sueur».
Comment ça se passe sur scène ? Qui est-ce qui vous accompagne ?
Il y a toujours Peter qui est vraiment mon binôme. Souvent, il est à la guitare, essentiellement à la guitare. Des fois, il fait un peu de basse et un peu de synthétiseur. Colin Russeil à la batterie. Il joue aussi avec plein de monde et ii a fait partie d’un groupe qui s’appelle Radio Elvis. Il joue aussi avec Gaëtan Roussel, Jane Birkin, en ce moment. Il fait beaucoup de ses- sions de studio. C’est vraiment un magnifique batteur qui joue avec moi depuis «Hungry Dirty Baby». Eux, c’est vraiment l’équipe que j’ai depuis que je suis indépendante et Peter depuis toujours. Là, on a un quatrième nouveau, qui est arrivé sur cette tournée. Il s’appelle Quentin Rochas. Il est bassiste, synthétiseur basse, synthétiseur. Il fait pas mal les sons de production de cet album. Il fait pratiquement autant de basses que de synthétiseurs basses et des synthétiseurs aussi.
Ça fait quand même pas mal d’années maintenant que quand on parle d’artiste rock féminine en France, Mademoiselle K est un des premiers noms qui arrivent. Qu’est-ce que ça serait votre définition du rock aujourd’hui ?
Ce n’est pas évident. En vrai, par exemple, si on écoute cet album, c’est de la chanson rock que je fais. Je me dis toujours qu’il y a des gens plus rock que moi, mais après, c’est peut-être aussi une attitude. Je passe tout le concert avec ma guitare ou ma basse. Je ne sais pas ce que c’est qu’être rock.
On met toujours des étiquettes, mais justement, être rock, c’est très large, finalement.
Je pense quand même que la première chose que je dirais, c’est l’instrument, la guitare électrique. La guitare électrique, c’est l’instrument roi du rock. Parce qu’à un moment, quand j’ai commencé mes toutes premières maquettes, avec «Petit pas» et tout ça, c’était avec une folk. Puis, quand j’ai eu ma première guitare électrique, c’est là qu’il y a eu «Ça me vexe», qu’est venu «À l’ombre», les morceaux avec des riffs, «Ça sent l’été», les morceaux qui ont fait l’album «Ça me vexe». Tout d’un coup, la guitare électrique, plus l’amplificateur, plus les pédales, là, on y est. Là, on touche au rock. Ce n’est pas tout, c’est vraiment la guitare, amplificateur, pédales. Il y a aussi quand même quelque chose avec les décibels. Mais les décibels à une certaine fréquence. Les guitares électriques ont une certaine fréquence, un endroit qui pique. Je suis une femme avec une guitare électrique. Voilà comment j’entre dans la définition.
Est-ce qu’il y a quelque chose que l’on n’a pas abordé et que vous voudriez dire ?
Je dirais juste que j’encourage les filles qui font de la batterie, de la guitare, de la basse, à ne pas lâcher l’affaire, à ne pas avoir peur, juste à y aller. Il n’y a pas à faire de complexe par rapport aux garçons qui joueraient mieux. Parce que c’est un truc que j’ai entendu et auquel j’ai été confronté. Quand j’ai rencontré Peter, il connaissait tous les plans de guitares électriques de la planète entière et moi, je venais de la guitare classique, donc je n’avais pas tous les codes de la guitare électrique. Il y a plein de choses que j’adore dans la guitare électrique, mais jusqu’à ce jour, je ne les ai pas et je suis bien contente de ne pas les avoir. Plus largement, c’est un message pour tous les gens qui font de la guitare, et même les garçons. Je trouve que le rock a vraiment besoin de se renouveler aussi. L’ère dans laquelle on est qui est plus tournée vers le rap, l’urbain, comme on dit. Il y a plein de choses à apprendre du logiciel Ableton, et j’en ai consommé du Ableton sur cet album. Je trouve que c’est un logiciel d’enregistrement super. Il y a plein de choses à apprendre. Il y a des choses que j’adore, mais je m’en moque du rock des années 1970. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on fait aujourd’hui. Quelle guitare on peut créer aujourd’hui avec les technologies d’aujourd’hui. Il y a plein de filles instrumentistes au conservatoire dans le milieu classique, mais dans la musique actuelle, il y en a beaucoup moins. J’ai vu les chiffres et j’ai appris que souvent, elles lâchent l’affaire. Il faut y aller, il ne faut pas avoir de complexes. Il faut juste faire ce qu’on aime et écouter son envie. Je trouve ça très important. N’être guidé que par son envie, parce que c’est puissant et ça l’est plus que tout le reste.
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